Timothée Duverger
Ingénieur de recherche - Chargé de mission ESS et développement durable à Sciences Po Bordeaux | Chercheur au Centre Émile Durkheim
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, où j’ai la responsabilité de la Chaire Territoires de l’ESS (TerrESS), du Master Économie sociale et solidaire et innovation sociale (ESSIS) et de l’Executive Master Stratégies, territoires et projets innovants dans l’ESS (STPI-ESS). Après avoir été associé au Centre Émile Durkheim depuis 2017, je viens d’être admis comme chercheur permanent.
Quel est votre parcours et comment êtes-vous devenu chercheur ?
J’ai été doctorant contractuel puis ATER à l’Université Bordeaux Montaigne, où j’ai soutenu en 2015 une thèse en histoire contemporaine sur les dynamiques d’institutionnalisation de l’ESS en France et en Europe des années 1960 à nos jours.
À la suite de quoi j’ai été conseiller en cabinet politique pendant huit ans, auprès de deux présidents du département de la Gironde et plus récemment du Maire de Bordeaux. En parallèle, j’ai maintenu mon investissement universitaire, en devenant enseignant associé à Sciences Po Bordeaux puis en prenant progressivement des responsabilités pédagogiques dans le sillage de Robert Lafore, qui m’a beaucoup encouragé à poursuivre dans cette voie.
Ces deux fonctions se sont nourries mutuellement, comme par exemple lorsque j’ai porté le projet d’expérimentation du revenu de base en Gironde. Elles m’ont permis, par des formes de participation observante, d’approfondir mes réflexions sur la fabrique des politiques publiques et plus largement les rapports État-société comme les rapports science-société.
J’ai finalement choisi la carrière universitaire en rejoignant pleinement Sciences Po Bordeaux depuis janvier.
Pouvez-vous nous parler de vos recherches ?
Après un mémoire en 2010 sur l’histoire des idées de la décroissance que j’ai eu la chance de publier et qui me donne encore aujourd’hui l’occasion de nouveaux développements, j’ai orienté mes recherches principalement dans deux directions : d’une part les dynamiques d’institutionnalisation de l’ESS, et d’autre part les rapports entre les expérimentations sociales, les territoires et le changement institutionnel.
Cela s’est traduit par exemple par la publication en début d’année d’un ouvrage proposant une approche intégrale de l’économie sociale et solidaire dans la collection « Repères » de La découverte ou encore le développement depuis un an et demi de travaux au sein de la Chaire TerrESS sur la responsabilité territoriale des entreprises, pour laquelle l’ESS fournit des cadres de gouvernance et de régulation territoriales.
Ma double vie professionnelle passée m’a donné le réflexe de travailler étroitement avec les acteurs. Je préside ainsi l’Observatoire des Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), dans lequel nous encourageons, soutenons et valorisons les recherches sur l’expérimentation en lien avec l’association nationale.
Je conserve bien sûr des liens avec ma discipline d’origine, ce qui m’a conduit par exemple à créer avec des collègues des chantiers de recherche sur l’histoire des scop avec la Confédération générale des scop et des scic, ou sur l’histoire de l’ESS avec le Cédias-Musée social.
Quel est votre quotidien professionnel ?
Chargé ! Et surtout très varié.
Ce qui m’amène le plus de satisfaction, c’est sans doute l’accompagnement des étudiants, que l’on voit s’autonomiser, développer des projets et trouver leur voie. J’ai été particulièrement fier d’eux quand ils ont créé la coopérative Acc’ESS, qui propose une offre de conseil à destination des acteurs de l’ESS et des collectivités locales. Cela nous a permis de transformer nos enseignements, en ne formant plus seulement à l’ESS mais par l’ESS, puisque les activités de la coopérative sont intégrées à la maquette pédagogique.
Je pilote aussi la Chaire TerrESS et ses différents projets dans le domaine de la formation, de la recherche, du soutien aux initiatives étudiantes et de la contribution aux débats publics. C’est assez chronophage, comme nous recevons de nombreuses sollicitations, mais c’est le cœur du réacteur où nous mettons en cohérence et faisons monter en puissance l’ensemble des activités autour de l’ESS.
Je donne plusieurs dizaines de conférences par an et surtout, j’écris beaucoup, que ce soit pour le grand public avec par exemple ma chronique sur l’ESS pour Alternatives économiques, ou pour le monde académique, à travers des articles, chapitres d’ouvrage ou livres, qu’on me commande le plus souvent.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Nous devons continuer à structurer la recherche sur l’ESS et ses liens avec les acteurs, en particulier à l’échelle néo-aquitaine.
L’arrivée récente à Bordeaux du Global Social Economy Forum (GSEF), une association rassemblant des gouvernements locaux et des réseaux de la société civile promouvant l’ESS à travers le monde, nous donne aussi l’opportunité de développer des travaux à l’échelle internationale. Nous avons ainsi créé en son sein un groupe de recherche sur les politiques locales d’ESS au service du développement durable dans une approche comparée.
Le Ciriec International vient également d’accepter la candidature de Sciences Po Bordeaux pour accueillir en octobre 2025 sa 10ème conférence de recherche sur l’économie sociale sur le thème de la transition socio-écologique, la même semaine que le Forum mondial de l’ESS qui se tiendra lui aussi à Bordeaux.
D’une certaine façon, j’essaye de faire mien ce slogan souvent cité par l’un de nos illustres prédécesseurs Jacques Ellul : « Penser global, agir local ».
Et en dehors de la recherche ?
Mon autre passion ce sont les think tanks, où nous élaborons et diffusions des idées au croisement des mondes institutionnel, socio-économique et de l’expertise. Je codirige par exemple l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation Jean-Jaurès, dans lequel nous valorisons les solutions locales ou portons des propositions comme récemment sur le revenu d’autonomie, la garantie d’emploi territorialisée ou la démocratisation de l’entreprise.
Après un long parcours politique que je viens de clore, c’est pour moi une autre manière de s’engager. Face aux crises que traversent nos sociétés, nous essayons de montrer qu’il existe des « utopies réelles » porteuses de stratégies de transformation.
Propos recueillis le 29 mai 2023.
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