Joëlle Perroton est maîtresse de conférences à la faculté de sociologie et chercheuse au Centre Émile Durkheim. Depuis quatre ans, elle est directrice de la faculté de sociologie.
Joëlle Perroton
Maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Bordeaux et chercheuse au Centre Emile Durkheim
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Bordeaux et chercheuse au Centre Emile Durkheim. Plus conjoncturellement, je suis depuis 4 ans directrice de la faculté de sociologie. De quoi m’occuper pleinement !
Quel est ton parcours et comment es-tu devenue enseignante-chercheuse ?
J’ai passé mon enfance dans la région lyonnaise, où j’ai grandi à Vaulx-en-Velin, tristement célèbre, dans un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, pour les émeutes urbaines du Mas du Taureau. Mes parents, petite classe moyenne, avait acheté un appartement dans cette commune aux milieu des années 60, avant l’édification de la ZUP, à leur grand désespoir. Sans doute pour ne pas perdre de vue leurs aspirations à la mobilité, ils ont contourné la carte scolaire. J’ai donc fait mes études secondaires à Villeurbanne, un bac C comme tous les bons élèves de l’époque, puis une prépa au lycée du Parc à Lyon. J’y ai découvert les sciences économiques et sociales, et particulièrement la sociologie, qui m’a d’emblée passionnée. J’ai intégré l’Ecole Normale Supérieure de Cachan où j’ai obtenu l’agrégation en 1992. J’ai toujours voulu devenir enseignante mais j’avoue que les programmes de SES en lycée ne me m’enthousiasmaient guère car l’éco y avait la part trop belle à mon goût. J’ai donc décidé de poursuivre en doctorat et, comme je m’intéressais à la sociologie de l’éducation, je suis venue à Bordeaux pour y faire mon DEA puis ma thèse sous la direction de François Dubet. J’ai ensuite été ATER deux années durant, avant d’être recrutée en 1999 comme maîtresse de conférences. Et j’y suis encore !
Quels sont tes objets de recherche ? Sur quoi travailles-tu ?
J’ai raconté ma trajectoire scolaire sans doute car elle fait écho à mes objets de recherche. Tout un pan de mon travail concerne en effet la question des marchés scolaires, des stratégies familiales et de la ségrégation à l’école. J’ai commencé à m’intéresser en doctorat aux relations interethniques à l’école, à un moment où ce sujet était encore largement tabou. Cette entrée dans la sociologie de l’éducation m’a évidemment sensibilisée aux multiples fractures de notre système scolaire et j’ai mené plusieurs recherches sur les causes, les formes et les conséquences de la ségrégation scolaire, qui est devenue, selon moi, un puissant moteur de la reproduction à l’école. Parallèlement, j’ai aussi poursuivi, avec Claire Schiff, des travaux autour des questions de l’altérité, notamment ethnique, à l’école, dans deux recherches auprès des lycéens, EDUMIGROM et ALTERECOLE. Ces sujets me passionnent mais aussi me rendent parfois dingue quand je vois l’actualité et le non-sens de certaines réformes….
Peux-tu nous parler de ton quotidien professionnel ?
Chargé et objet de permanents dilemmes ! Je partage mon temps entre mes activités d’enseignement, d’administration et de recherche. Et je dois bien avouer que depuis quatre ans, les deux premières ont tendance à phagocyter la troisième. Ma fonction de direction de la faculté me prend en effet énormément de temps et je suis très souvent dans une multitude de réunions institutionnelles. C’est passionnant car on voit de l’intérieur les rouages de l’institution et on acquiert une perception tout autre de son fonctionnement (fascinant pour une sociologue !). Mais c’est aussi très démoralisant parfois car cet univers est fréquemment kafkaïen et très contraint par le manque de moyens donnés à l’université. Par ailleurs, je coordonne aussi un projet pédagogique intitulé DEMAIn, soutenu par l’université de Bordeaux via New Deal, et qui consiste en une refonte totale de notre offre de formation en licence. C’est un gros travail qui me mobilise beaucoup, ainsi que tous les collègues de la faculté, depuis deux ans mais qui nous redonne aussi du souffle. J’essaie de glisser, autant que je le peux, la recherche dans les interstices non remplis de mon emploi du temps, mais ai du mal, à mon grand regret, à trouver des journées entières à ne consacrer qu’à cela. Enfin, dans mon quotidien professionnel, depuis deux ans, grâce à Agnès (Villechaise), est apparue une petite bulle de bonheur et d’oxygène grâce aux différents projets qu’elle mène « Arts et sciences ». Faire de la création sonore ou du théâtre tout en parlant socio1, quelle bouffée d’air frais !
Quels sont tes projets pour l’avenir ?
Ecrire ! Nous n’avons toujours pas fini, avec Claire (Schiff), d’exploiter les données d’Alterecole. J’aimerais trouver enfin du temps pour me plonger vraiment dans cette mine d’entretiens et d’observations que nous avons en stock et pour écrire. Nous commençons également, toujours avec Claire, mais aussi avec Agnès Villechaise et Juliette Vollet, à réfléchir à une nouvelle recherche-action auprès des lycéens. Preuve que le terrain me manque ! Ce nouveau projet comporterait d’ailleurs un volet médiation scientifique qui permettrait de poursuivre dans la volonté de créer de vraies compétences autour de cela tant à la faculté qu’au labo ! Une belle perspective !
Et en dehors de la recherche ?
Beaucoup de choses très banales…. Je suis maman de quatre (grands) enfants et grand-mère depuis deux ans. Cela occupe, à ma plus grande joie, une partie de mon quotidien. Sinon, les balades en forêt avec mon chien, le vélo, le bord de mer et le sentier des douaniers (la Bretagne fait partie de mon univers depuis cinq ans) et bien sûr la lecture… Sur ce point, je suis à la fois très éclectique et monomaniaque. Je lis des livres extrêmement variés, dans des registres très différents, mais lorsque je tombe sur un écrivain qui me plaît, je me mets en général à dévorer tout ce qu’il a écrit jusqu’à l’overdose qui m’amène à passer à autre chose. J’ai ainsi eu mes périodes John Irving, Arto Paasilinna, Carlos Ruiz Zafon…. Bref, je connais peu l’ennui !
1 voir notamment la représentation de Notre petit monde
Propos recueillis le 14 février 2024
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