Alexia Boucherie

Alexia Boucherie est doctorante en sociologie au Centre Emile Durkheim (Université de Bordeaux) depuis septembre 2019. Elle y poursuit ses recherches autour du consentement sexuel, après avoir publié en mars 2019 son travail de Master 2 aux éditions Pérégrines (anciennement François Bourin), intitulé Troubles dans le consentement. Ses recherches posent la question des pratiques et des représentations actuelles du consentement sexuel chez les français·e·s de 18 à 25 ans. Elle interroge la multidimentionnalité des rapports de pouvoir et des contextes sociaux scriptés qui peuvent orienter le choix, théoriquement « libre et éclairé », de pratiquer une relation sexuelle.

Alexia Boucherie

doctorante en sociologie

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis en 4e année de thèse en sociologie au Centre Emile Durkheim, sous la direction d’Eric Macé. Je suis co-responsable de l’axe PARASITE depuis 2020. Depuis 2021 je suis co-représentante des doctorant·e·s en sociologie, et depuis la même période je fais partie d’un collectif de chercheur·se·s handiféministe (le REHF). Je râle beaucoup mais en vrai je suis gentille.

Quel est ton parcours ?

J’ai obtenu de justesse mon bac SES en 2010, j’ai raté les oraux d’assistante sociale (et aujourd’hui je remercie de tout cœur cet échec), je me suis engagée pour un an dans un service civique dans les Landes car je ne savais pas quoi faire d’autre, puis j’ai longuement hésité entre psycho ou socio pour la reprise d’études à Bordeaux. Le social l’a emporté, j’ai rarement assisté aux cours, jusqu’en licence 3 où j’ai enfin compris ce qu’était la sociologie et où ma passion pour cette discipline a commencé. J’ai rencontré l’école de Chicago et l’épistémologie féministe en cours magistral en même temps que je découvrais les critiques radicales anarcha-féministes dans des brochures militantes, que j’ai ensuite retrouvées dans des textes reconnus académiquement au sein des « études de genre » ou, plus rarement à l’époque, des « études féministes ». Ainsi, dans mes lectures, les travaux androcentriques des « classiques » ont été enrichis par les critiques des travaux féministes, ce qui m’a permis de construire une riche panoplie d’outils dans lesquels piocher pour étoffer au mieux ma fameuse « neutralité axiologique » et les cadres analytiques que je mobilise.

Ces croisements entre expériences personnelles et lectures scientifiques ont orienté mes intérêts sociologiques (et continuent de le faire) : j’ai commencé avec un TER de L3 portant sur le genre et la consommation d’alcool, puis j’ai rapidement dérivé sur les violences sexuelles, d’abord les discours féministes alternatifs sur le viol en M1 puis le consentement sexuel et ses zones grises en M2 recherche. J’ai validé mon master en septembre 2017, bien décidée à prendre au moins un an de pause avant de repenser à la thèse, ma santé mentale éprouvée m’ayant ôté l’idée de passer le concours doctoral directement à la suite du mémoire. Mon année de repos s’est toutefois déroulée autrement puisqu’une maison d’édition m’a contactée début 2018 pour publier mon mémoire dans une collection féministe « grand public ». Point de facteur chance ou de seul mérite individuel dans cette proposition : le contexte politique et social centré sur les « affaires Metoo » a permis aux acteurices du monde de l’édition de chercher à publier des autrices féministes qui mettaient à jour la notion de consentement (et nous sommes peu nombreuses en France), ainsi qu’un directeur de mémoire (Eric Macé) qui m’a fait bénéficier de ses contacts. Cette opportunité a été grandement bénéfique car cela m’a permis de ré-écrire mon manuscrit de manière plus libre et politisée, de m’exercer à l’oral pour satisfaire les exigences de promotion du livre, et surtout de solidifier mon projet doctoral pour candidater au concours de l’EDSP2, que j’ai obtenu en septembre 2019.

Qu’est-ce qui t’a attirée vers la recherche ?

C’est d’abord parce que j’aime profondément mon sujet d’étude, et que j’avais hâte de pouvoir le creuser davantage avec les outils et la temporalité accordée via le monde académique. L’enchaînement des évènements et l’engouement qu’a suscité la publication de mon livre dans les milieux féministes a fait que je me suis dirigée, malgré les appréhensions et l’épuisement, vers une thèse. En y réfléchissant, ce qui m’attire le plus dans la recherche est de pouvoir prendre le temps de décortiquer un objet, de l’interroger, de l’analyser et d’en donner une lecture qui fera sens pour certain-e-s, et qui sera réfutée par d’autres. C’est pourquoi la mise en concurrence, la course à la productivité et la reproduction d’inégalités et de violences découvertes dans ce milieu professionnel ont pu ternir mon amour premier (et naïf) pour la sociologie. J’arrive toutefois à rallumer la flamme lorsque je me plonge dans ma thèse, heureusement, et quand je lis/écoute des chercheur-se-s que j’admire expliquer une logique qui résonne particulièrement et qui fait sens pour ce que j’observe. Ecouter les collègues doctorant·e·s parler de leurs travaux et de leur cheminement imparfait dans la construction de leurs objets – c’est-à-dire en laissant apparaître les doutes, les craintes, les approximations, les questions sans réponses, les échecs - me passionne également.

En ce qui concerne l’enquête à proprement parler, le moment de l’entretien, aussi angoissant soit-il pour moi dans sa préparation et parfois dans sa passation, me rappelle pourtant à chaque fois combien j’aime écouter de nouvelles personnes se raconter. J’aime particulièrement le moment où l’on sent que les lignes de convenance s’amoindrissent et que l’on accède à une intimité brute, pas toujours valorisante mais souvent touchante dans la confiance que cela témoigne. Enfin, le sentiment d’excitation et de stimulation que provoque le développement d’une idée (surtout quand elle marche bien) et sa mise en cohérence avec les données, me confirme cette attirance pour la recherche, que j’espère pouvoir poursuivre par la suite. L’écriture quant à elle, est plus douloureuse car complexifiée par la volonté de produire quelque chose de parfait, de trouver le mot exact qui permettra d’exprimer une démonstration fluide, appuyée par LA citation exemplaire…J’ai donc tendance à repousser cette étape jusqu’au moment où je n’ai plus d’autre choix que de m’y mettre, ce qui est loin d’être idéal. J’essaye petit à petit de faire autrement, en prenant conseil auprès de mes collègues doctorant·e·s.

Peux-tu nous parler de ta thèse ?

Je continue d’enquêter sur le consentement sexuel, en interrogeant les 18-25 ans. J’ai choisi cette population pour mettre à l’épreuve l’hypothèse d’un « effet Metoo » sur l’éducation sexuelle des adolescent·e·s et donc une évolution des scripts qu’iels mobilisent pour « faire du sexe ». Un tel effet, s’il existe, n’est pas vérifiable auprès de mon échantillon d’une trentaine de personnes, majoritairement blancs et cisgenres, de classe moyenne/supérieure, vivant en ultra-centre urbain (Bordeaux), en périphérie (CUB) ou en milieu rural (Lozère). En revanche, le dispositif que j’ai mis en place pour réaliser mes entretiens semi-directifs me permet d’accéder en profondeur à la biographie sexuelle de mes participant·e·s. Cela donne lieu à des entretiens longs, d’une moyenne de trois heures, que j’ai réalisés en visio pour la plupart et qui m’amènent à questionner la manière dont le consentement – concept plus ou moins flou mais qui est pourtant présenté comme obligatoire dans un rapport sexuel – est mis en pratique tout au long de la sexualité. Mon objectif principal est donc de comprendre comment se construisent et se modifient les pratiques du consentement chez les jeunes adultes, en fonction de variables socio-démographiques, de trajectoires individuelles, de réflexivités féministes, d’incorporation, d’interprétation et de performance de scripts, du degré d’autonomie dont disposent les personnes… Le tout pris dans un contexte français où s’entremêlent des rapports de pouvoir qui orientent l’ordre sexuel et ses normes.

Voilà ce que je peux en dire de manière très résumée, ce qui illustre le passage dans lequel je me trouve, à savoir : je ne sais plus quel est l’objet exact de ma thèse, mais je l’aime beaucoup.

Peux-tu nous parler de ton quotidien de doctorante ?

Me mettre en route le matin est parfois difficile, donc je réserve ce moment aux tâches organisationnelles « faciles » : répondre aux mails, faire de la veille scientifique, prendre des rendez-vous, mettre à jour mon agenda… Et une liste des tâches à faire pour la journée, en fonction des priorités et des deadlines. L’après-midi, soit j’arrive à aller au bureau vers 14h et j’y reste jusqu’à la fermeture du site, soit je travaille chez moi. Là c’est le moment qui est davantage relié à ma thèse directement : faire des entretiens ou retranscrire et analyser ceux qui ont été réalisés, lire et annoter, puis mettre du lien entre toutes ces données. Cela peut aussi être le moment où je réfléchis/écris le contenu des diverses productions académiques demandées (communications, articles/chapitres d’ouvrage, recensions). C’est aussi l’après-midi que je fixe les (nombreuses) réunions de travail quand j’en ai l’occasion.

Mon quotidien est organisé en fonction d’une temporalité que des chercheur-se-s et activistes handi-e-s ont nommé le crip time : parfois sortir de mon lit, prendre une douche et assister à une réunion visio sont les seules choses que j’arriverais à faire en une journée, parfois j’écris trois pages de qualité et je pars en manif le soir. L’aléatoire de la fatigue, de l’anxiété et des idées noires perturbe la linéarité de l’efficacité et complique l’organisation « normale » - c’est-à-dire calculée par et pour des corps et psychés valides - d’une journée (qu’elle soit de travail ou de loisirs).

Et en dehors de la recherche ?

Quand j’ai encore de l’énergie pour côtoyer des humain··s, j’aime participer aux évènements festifs et militants organisés par les collectifs LGBTQ et féministes, qui me font beaucoup de bien. Je fais aussi partie d’une chorale féministe non-mixte, et chanter ensemble des chansons militantes permet de relâcher toute la colère accumulée et de ressentir la force et l’espoir collectif. J’essaye d’investir le militantisme par l’animation de discussions/ateliers autour du consentement, en utilisant les questions que je pose dans mon guide d’entretien comme outils réflexifs à déployer pour analyser son propre rapport au consentement, et surtout pouvoir partager collectivement nos savoirs et expériences individuelles de la sexualité. Ce sont des instants qui remettent du sens sur ma thèse et qui me rappellent pourquoi j’aime ce que je fais, et pourquoi c’est utile. Cela me permet aussi de reconnecter avec la dimension humaine de notre travail : les gens à qui l’on pose des questions ne sont pas qu’un simple « terrain ». C’est pourquoi j’accepte toujours lorsqu’une association ou un collectif me demande de participer à l’un de leurs évènements : c’est bien plus satisfaisant que de discuter pendant deux heures de la justesse du terme employé pour décrire un phénomène social (ce que j’aime beaucoup faire aussi par ailleurs).

Lorsque j’ai eu ma dose de relations humaines (assez rapidement), je préfère passer du temps avec des animaux, parler à mes plantes (les supplier de ne pas mourir), me perdre pendant des heures dans des jeux vidéo, et parfois sortir de ma grotte pour profiter du soleil en ne faisant absolument rien (et sans culpabiliser de cette improductivité). Lire, écouter de la musique, regarder des séries sont aussi des activités qui composent mon quotidien mais qui me permettent moins de déconnecter du travail, puisque la sexualité y est souvent présente et que ça me renvoie à mes objets de recherche que je ne suis pas en train d’activement travailler (et là surgit la culpabilité).


Propos recueillis le 24 avril 2023

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Publié le 17 mai 2023
Dernière modification le 17 mai 2023