
Gérald Houdeville
Accompagner des décrocheurs scolaires en service civique : une universalité mise à mal par une formule à usage spécifique ?
En mars 2018, j’étais venu présenter, dans le cadre de l’axe VIP du CED, les résultats d’une enquête conduite en Pays de la Loire auprès de jeunes décrocheurs scolaires (des premières années du secondaire à l’enseignement supérieur) en service civique. Le but était de se demander dans quelle mesure des jeunes exclus de l’école et en mal d’insertion professionnelle étaient en mesure de s’approprier un dispositif d’Etat promu comme universel et entendant développer, hors travail, un sens de l’« engagement citoyen », et ainsi contribuer à la cohésion sociale et nationale. Cette fois, je reviens dans le cadre de l’axe REVER du CED pour parler d’une enquête, conduite en 2020-2021, dans le département des Bouches-du-Rhône, toujours sur des décrocheurs en service civique (au sens restreint de sortants sans diplôme de l’enseignement secondaire), mais cette fois-ci pour proposer une analyse du point de vue et des pratiques professionnelles des tuteurs chargés d’accompagner ces jeunes.
A l’observation, l’aspect de diversité n’est pas moins prééminent de ce côté-là que du côté des jeunes destinataires du dispositif, le service civique faisant office de « dispositif coucou » mis en œuvre pratiquement par une très grande diversité d’organismes d’accueil, sans personnel dédié. Ces conditions rendent difficile qu’un même discours d’institution soit tenu et font primer la retraduction des activités et de l’esprit du service civique en fonction des objectifs professionnels et de l’esprit maison des organismes d’appartenance des tuteurs. Une sociologie de ces derniers s’imposait donc : qu’est-ce qu’accompagner dans leur service civique des décrocheurs scolaires pour un conseiller Mission locale soumis aux injonctions a priori contradictoires de son organisme chargé de la mise au travail des jeunes et du service civique qui méconnaît les notions d’emploi et de travail ? Pour des formateurs de la Mission de lutte contre le décrochage scolaire chargés de favoriser le raccrochage scolaire de jeunes à distance de l’école ? Pour un coordonnateur d’Unis-Cité confronté à des jeunes auxquels le vocabulaire de l’« engagement citoyen » est étranger ? Notre questionnement ne vise pas à proposer un classement des intervenants en fonction de leurs performances en matière d’accompagnement mais de déterminer le degré de proximité/d’éloignement entre les intentions objectives du service civique et la manière dont ces intervenants sont conduits à le mettre en œuvre face à ces jeunes, au risque de les cantonner dans une formule du service civique à usage des décrocheurs scolaires.