La santé à crédit. Le PLFSS 2025, entre illusions budgétaires et réalités sociales

C'est le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale. C'est un texte législatif annuel qui détermine les objectifs de dépenses et de recettes de la Sécurité sociale pour l’année à venir et par branche (dont les principales sont vieillesse, santé, famille, autonomie). Il est voté par le Parlement, chaque année au mois de décembre. Institué en 1996 sous le gouvernement d'Alain Juppé, le PLFSS a été mis en place pour mieux gérer les finances de la Sécurité sociale face à des déficits croissants.

Le processus d'élaboration du PLFSS commence par la préparation d'un projet par le gouvernement, en collaboration avec les ministères concernés. Ce projet est ensuite présenté au Parlement, où il fait l'objet de débats et d'amendements. A l’issue de ce processus de plusieurs semaines, le texte détermine les orientations financières et sociales qui impactent directement le fonctionnement de la Sécurité Sociale (donc du système de santé et des retraites) et la vie quotidienne des citoyens.

Pour 2025, par exemple, le Projet visait à ramener le déficit public à 5% du PIB, contre 6,1% en 2024. Il demandait pour cela un « effort » de 60 milliards d'euros, dont deux tiers portaient sur la réduction des dépenses publiques (par l’allongement des délais de carence et des déremboursements importants dans le champ de la santé). Le document traduisait ainsi la stratégie du gouvernement Barnier qui visait la maîtrise des comptes publics plutôt que la préservation du modèle social français.

Le terme « trou de la Sécu » est souvent utilisé pour décrire le déficit de financement de la Sécurité sociale. Julien Duval (Directeur de recherche au CNRS) a montré en quoi cette expression métaphorique est erronée et simplificatrice. Ce déficit structurel nécessite au contraire une analyse approfondie. Bien que la Sécurité sociale dépense plus qu'elle ne reçoit, cela ne signifie pas nécessairement que le système est en faillite. D’abord, il apporte à la société française plus qu’il ne coûte, en garantissant un accès aux soins et à la dignité à tous ; il a également un effet bénéfique sur la croissance puisqu’il permet de recouvrer la capacité de travail.

De plus, les facteurs contribuant à cette situation de déficit devenu désormais chronique sont multiples et révèle une réalité politique éloignée des calculs comptables souvent mis en avant.

Du côté des recettes, on note des changements significatifs au fil des années sur la structure du budget de la Sécu. L'introduction de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) en 1991 a été un tournant vers la soutenabilité du système en accordant une nouvelle source de recettes au système – touchant tous les revenus d’activité, du patrimoine et de placement de la même manière (9,2%) elle est toutefois particulièrement inéquitable. Par ailleurs, les contributions publiques (transferts directs de l'État vers les caisses de Sécurités Sociale), pourtant consubstantielles à la création de la Sécu en 1945 ont largement diminué au milieu des années 2000, fragilisant son financement.

Les enjeux du financement à long terme de la Sécurité sociale sont nombreux et complexes. Tout d'abord, il est bien sûr prévisible que les dépenses continuent d'augmenter en raison du vieillissement démographique et du besoin accru en soins et accompagnement pour une population vieillissante. Parallèlement, l'augmentation des maladies chroniques représente un défi majeur pour le système. Mais il convient également de considérer d’autres facteurs cruciaux de croissance des dépenses : le coût des soins médicaux est tiré vers le haut par l’augmentation des prix des nouvelles technologies médicales et. des traitements innovants sont souvent très coûteux ; à cela s'ajoute l'émergence et la multiplication des maladies liées à des facteurs environnementaux (maladies respiratoires et cancers) et aux modes de vie contemporains (diabète et troubles cardio-vasculaires).

Un autre enjeu crucial réside dans la précarisation croissante d'une partie de la population. Cette situation a un impact direct sur les recettes : moins de cotisations sont perçues lorsque les revenus diminuent. En outre, elle augmente également les besoins en soins et en aides sociales.

Ces enjeux soulèvent des questions fondamentales sur l'équité intergénérationnelle, la solidarité nationale, et la capacité du système à s'adapter aux évolutions sociales. Ils mettent en lumière les tensions entre les attentes des citoyens en matière de protection sociale et les contraintes budgétaires croissantes. Pour répondre à ces défis, il sera nécessaire d'explorer de nouvelles sources de financement. Cela pourrait inclure une réévaluation des taxes existantes ou l'introduction de nouvelles taxes et impôts dits affectés (comme c’est le cas déjà sur le tabac et l’alcool) sur des produits nocifs pour la santé. Il est également essentiel d'envisager un renforcement du rôle de l'État dans le financement de la Sécurité sociale ainsi que de repenser la progressivité des contributions sociales et patronales. La recherche d'un équilibre entre ces impératifs contradictoires constitue un défi majeur pour la cohésion sociale et la légitimité du système de protection sociale français.

La situation entourant le PLFSS 2025 est particulièrement délicate. En effet, à l’issue du temps impartie, le projet n'a pas été voté et a conduit à une motion de censure qui a fait tomber le gouvernement Barnier mercredi 4 décembre dans la soirée. Cela témoigne des tensions politiques croissantes dans le pays, mais sans livrer ici une analyse politique, je souhaite plutôt insister sur le fait qu’il est intéressant que cela se cristallise autour des questions liées au financement de la Sécurité sociale.

Dans le projet initial du PLFSS 2025, plusieurs mesures très controversées étaient envisagées. L'objectif général affiché était ambitieux : ramener le déficit public sous le seuil des 3 % du PIB d'ici 2029. Cet objectif nécessitait des coupes significatives, notamment dans les remboursements de santé (consultations, médicaments et transports) et donc l’accès aux soins pour certains groupes vulnérables. La refonte des allègements généraux pour favoriser les augmentations de salaires et l'accent mis sur la lutte contre la fraude sont des initiatives dont l’efficacité n’est pas prouvée, bien au contraire. Le report de l'indexation des pensions de retraite à juillet soulève des questions sur l'équité intergénérationnelle et a contribué à crisper fortement les débats. L’augmentation des jours de carence en cas d’arrêt maladie pour les fonctionnaires (il s’agit des jours pendant lesquels un travailleur n’est pas payé, avant que l’Assurance Maladie prenne le relai) a été une autre mesure poussant à rejeter le texte présenté au Parlement.

Ces mesures ont été perçues par l'opposition comme un simple plan d'économies à court terme, sans vision politique à long terme pour préserver le système de santé français. Les critiques ont notamment souligné l'absence de lien avec une stratégie pluriannuelle de santé, qui n’a d’ailleurs pas été annoncée.

Après la chute du gouvernement Barnier, il reste à voir comment sera abordée cette problématique par le prochain gouvernement et quelles priorités seront mises en avant pour assurer la soutenabilité du système de protection sociale en France.


Tonya Tartour est maîtresse de conférences à Sciences Po Bordeaux et chercheuse au Centre Emile Durkheim. Ses travaux portent sur les systèmes de santé.

Pour aller plus loin : "Universelle et solidaire, histoire de la Sécurité sociale", émission Interceptions, France Culture, 2024.
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Publiée le 12 décembre 2024

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