Le rapport au vote des cohortes nées et socialisées en démocratie : de nouvelles cultures du vote ?

La thèse en bref

Doctorant.e : Lucas Ormiere Directeur.trice de thèse : Vincent Tiberj Année de début : 2019 Discipline : Science politique

Thèse de science politique soutenue le 12 décembre 2024 (sous la co-direction de Vincent Tiberj et Guillermo Cordero García)

Résumé :  Cette thèse propose d’étudier le rapport au vote en Espagne des cohortes nées et socialisées en démocratie, pour les comparer avec leurs ainés. En effet, la littérature existante n’a pas interrogé les différences de culture électorale qui existeraient entre ces « nouveaux venus », les générations de la Transition et les plus âgées. Trop rarement, il s’est agi d’une analyse par l’âge et non par les cohortes et l’approche longitudinale.
Pourtant, la recherche internationale pointe la responsabilité des nouvelles générations dans le déclin de la participation électorale dans les démocraties occidentales (Blais et al., 2004 ; Blais & Rubenson, 2013). L’Espagne fait pourtant exception, car, contrairement à ces dernières, la participation lors des élections de premier-ordre n’y a presque pas décliné. C’est un paradoxe car on aurait pu postuler que ces « générations critiques » (Lorente & García-Albacete, 2019, 2021), moins croyantes et précarisées durant la crise de 2008, auraient dû encore plus s’abstenir que leurs homologues des autres pays.
Cette thèse propose de résoudre cette énigme en utilisant des méthodes mixtes. En premier lieu, nous réalisons une étude longitudinale grâce aux enquêtes post-électorales du Centro de Investigaciones Sociológicas de 1979 à 2024. Plusieurs aspects des « cultures du vote » des cohortes sont analysés : 1.) les inégalités inter et intragénérationnelles lors des élections générales et de second-ordre (les européennes et les référendums nationaux) depuis 1979. 2.) la perception du vote comme « un devoir civique » de 1980 à 2019, l’acceptabilité de l’abstention (en 1990 et 2005), et les habitudes de vote déclarées de « manière générale », et en fonction du type d’élection. Plusieurs régressions logistiques et des modèles généraux additionnels mixtes sont utilisés pour distinguer les effets d’âge, de période et de cohorte, « nœud gordien » des méthodes APC (Bell, 2020).
Puis, pour approfondir les résultats de l’analyse quantitative, nous avons interrogé les représentations du vote de membres des différentes cohortes, à travers une campagne de 46 entretiens semi-directifs.Ces cohortes nées et socialisées en démocratie développent une culture du vote différente de leurs ainés socialisés durant la Transition, le franquisme et la Guerre Civile. Leur participation reste importante lors des élections générales, et est plus forte que les nouvelles générations d’autres démocraties occidentales. La crise de 2008 a abouti à une forte politisation.
Cependant, leur vote est plus irrégulier et fluctue en fonction de l'intensité des campagnes électorales. Leur abstention devient plus répandue lors des élections de second-ordre. De plus, les inégalités intragénérationnelles en fonction du niveau d’études et de la classe sociale sont bien plus fortes en leur sein que dans les générations d’avant.
Ces résultats s’expliquent aussi par l’individuation de leur rapport au vote, déjà observé dans d’autres pays. Ces cohortes, en particulier ses membres les plus intéressés par la politique et les plus diplômés, s’inscrivent pleinement dans une citoyenneté du vote de « droit » qui s’éloigne de la citoyenneté du « devoir » des cohortes socialisées sous la Transition et le franquisme. Ces résultats soulignent l’importance du rôle des partis politiques et des médias pour mobiliser ces « nouveaux » citoyens dans les urnes, dont les représentations et les attentes envers le vote sont différentes des autres générations.