Conflit au pays basque : regards des militants illégaux

Catégorie : Ouvrage (y compris édition critique et traduction)

Auteur(s) : Caroline Guibet Lafaye

Éditeur : Peter Lang

pp. 334

Année de publication : 2020


Résumé :

Le conflit armé au pays basque a souvent déconcerté – en plus de susciter de vives critiques – dans la mesure où il s’est déployé dans des États revendiquant des structures démocratiques. L’ouvrage « Le conflit au pays basque : regards de militants illégaux » dévoile les interactions entre acteurs étatiques et non étatiques, qui seules permettent de comprendre la perpétuation de la violence illégale en contexte démocratique. Sont en particulier investis d’un rôle explicatif des facteurs tels que la permanence du personnel politique et répressif aux fonctions gouvernementales en Espagne après la mort de Franco, la répression illégale du « terrorisme » basque et la forclusion de la structure des opportunités politiques des deux côtés de la frontière, la très forte répression d’État à l’égard des Basques en Espagne, le traitement plus sévère par la police et les cours de justice espagnoles des membres d’ETA avec un usage avéré de la torture. Ces éléments ont alimenté l’idée, dans l’esprit des militants basques, que « rien n’a changé avec la transition ». La répression qu’a perpétuée la démocratie espagnole, dans la continuité de celle menée par le régime franquiste, à l’encontre des franges les plus revendicatives du pays basque a produit un effet de radicalisation qu’une approche interactionniste contribue à mettre en lumière. Le présent ouvrage, s’appuyant sur une approche interactionniste, souligne le rôle de facteurs environnementaux souvent négligés dans l’analyse des groupes clandestins, en particulier l’action de l’État. En effet, la répression légale – mais souvent indiscriminée et particulièrement sévère – ainsi que la violence paramilitaire ont participé de la radicalisation des groupes clandestins basques. Les assauts mortels menés par la police espagnole, en contexte démocratique, ou les assassinats conduits par l’extrême droite incarnent des événements transformatifs constituant des tournants dans la spirale de la violence aux yeux des militants abertzales. La répression est appréhendée comme la preuve de la nécessité de prendre les armes pour résister à un autoritarisme larvé. Ainsi la situation en Hegoalde est emblématique de mécanismes illustrant les conséquences de la clôture des opportunités politiques. L’approche interactionniste, dévoilant ces mécanismes et les interactions entre pouvoir et mouvements protestataires, autorise donc un regard renouvelé sur ETA. Elle désingularise la lutte que l’organisation a portée après la mort de Franco. De la même façon, l’enquête auprès de militants, impliqués dans la lutte clandestine et appartenant à au moins trois générations distinctes, permet de saisir de façon nuancée les motivations présidant à leur parcours et leur rapport à la violence. Au fil des générations, ces motivations s’inscrivent de façon toujours plus affirmée dans le registre politique et tendent à s’exprimer sous la modalité de l’engagement total et existentiel, du don de soi. Aux antipodes des représentations communes – c’est-à-dire politiques et médiatiques – qui en sont proposées, cet engagement n’est nullement envisagé comme un « basculement » par les intéressés mais bien toujours dans la continuité de l’engagement légal qu’ils assumaient auparavant. Conjointement, ces militants qui assument en toute conscience les actions menées par leur groupe – quand bien même ils peuvent, à certains égards, porter un regard critique sur certaines d’entre elles – ne sont pas tant portés, comme on voudrait le croire, par une éthique de la conviction mais bien par une éthique de la responsabilité. Si, pour une part, les organisations abertzales étudiées ont placé, au cœur de leur fonctionnement, le principe de la responsabilité collective, on vérifie, pour une autre part, une adhésion consciente et revendiquée à ce principe de la part de militants qui ont purgé leur peine de prison ou n’ont pas eu à faire avec la justice. Ainsi ces acteurs reconnaissent comme leurs des conséquences dépassant très largement leurs intentions et les actes qu’ils ont personnellement commis. Ils témoignent de la sorte de leur distance d’avec une logique de type machiavélien au nom de laquelle la fin justifierait les moyens.


Référence HAL : hal-02439953

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