À bas la sélection ! Misère de la critique
Catégorie : Article dans une revue
Auteur(s) : François Dubet , Marie Duru-Bellat
Nom de la revue : Revue Esprit
pp. 131-141
Année de publication : 2019
Résumé :
La critique de la sélection à l'entrée de l'université repose sur une vision misérabiliste des étudiants de milieu populaire et ne remet pas en question les inégalités au sein du système d'éducation. Il existe sans doute mille bonnes raisons d'être hostile à Parcoursup et à la réforme du baccalauréat, comme il existe de solides raisons de protester contre les conditions de travail des professeurs, des enseignants-chercheurs et des étudiants… Le propos de ce texte n'est pas de participer aux débats sur le bien-fondé des réformes ; il n'est ni de les défendre ni de les contester, mais d'interroger les cadres de la critique de la sélection que ces réformes sont censées accentuer, tels qu'ils s'expriment dans des motions ou des tribunes émanant de chercheurs en sciences sociales 1. Critique d'autant plus digne d'examen que les arguments sociologiques y ont joué un rôle essentiel, lui donnant une armature scientifique présentée comme incontestable. Pourtant, les conceptions de la justice qui sous-tendent les dénonciations de la sélection restent très largement impensées et, de fait, les auteurs de ces motions et manifestes justifient certaines inégalités, en tolèrent beaucoup, en ignorent d'autres. Fondamentalement, la critique de la sélection apparaît comme une critique méritocratique de la méritocratie. Elle défend un idéal scolaire français fondé sur la croyance dans les diplômes et les concours, en passant souvent sous silence les inégalités des formations et de la valeur sociale et économique des diplômes. Ajoutons qu'à l'exception du cas des États-Unis, réduit au rôle de contre-modèle ultralibéral, ces critiques ignorent généralement le fonctionnement d'autres systèmes d'enseignement supérieur et d'autres conceptions de la justice scolaire. Elles restent confinées dans le cadre, paradoxal, de l'enseignement supérieur français : celui d'un système ouvert, dominé par le public, où les frais d'inscription sont faibles et les bourses nombreuses, mais un système, également, caractérisé par une très forte reproduction des inégalités scolaires 2. La liberté de choix serait une fiction La liberté de choix conférée aux élèves par la réforme du bac et la prise en considération des singularités et des projets dans Parcoursup 3 sont dénoncées comme des pièges, car si les 1 Le corpus étudié est constitué des motions, nombreuses, diffusées sur Internet par des associations comme l'Ases ou des chercheurs se présentant comme sociologues, au cours de l'année 2018 2 Marc Romainville et Christophe Michaut (dir.), Réussite, échec et abandon dans l'enseignement supérieur, Paris, De Boeck, 2012. Voir aussi Romain Deles et Nicolas Charles, Les Parcours d'études, entre sélection et individualisation. Une comparaison internationale, Paris, Cnesco, 2018. 3 Rappelons que la procédure (instaurée par la loi Ore) part des voeux des lycéens, auxquels répondent les filières par une décision fondée sur un certain nombre de critères (chances de réussite, motivation, mobilité…), l'admission pouvant être assortie d'une clause « oui si » demandant à l'étudiant de suivre un complément de formation. Celui-ci choisit in fine entre les différentes options possibles.
Référence HAL : halshs-02374854
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