Olivier Cousin
Professeur de sociologie Université de Bordeaux et directeur adjoint du Centre Émile Durkheim
Quel est ton parcours et comment es-tu devenu enseignant-chercheur ?
Je suis devenu chercheur en sociologie un peu
par hasard et enseignant bien plus tardivement.
Comme probablement beaucoup d’étudiants, je passais dans l’année supérieure pour la seule raison que j’avais validé mes examens. Jusqu’au DEA, je n’avais aucune idée de ce que je souhaitais faire et je crois qu’être étudiant me suffisait. Puis, le hasard et un peu d’audace ou d’opportunisme de ma part m’ont conduit à participer à un projet de recherche initié par François Dubet. Il avait demandé aux étudiants, lors d’un séminaire, si certains souhaitaient participer à une enquête qu’il lançait dans 3 collèges de Bordeaux. Personne n’a réagi. Je suis allé le voir. Avec trois autres étudiants nous avons été embarqués dans cette affaire. C’était la première fois que nous faisions une enquête empirique, que l’on sortait de la fac, des cours et des livres. Cette étude nous a d’autant plus séduit qu’elle a donné lieu très rapidement à la perspective d’un programme plus important qui sera mis en place quelques années plus tard. Elle sera aussi l’amorce de ma thèse. Ainsi, je commence progressivement à m’engager vers la recherche, en contribuant d’une part aux travaux de François Dubet sur l’école et en particulier l’expérience scolaire (Les Lycéens ; A l’école), en m’intéressant, d’autre part, à la notion d’effet établissement par une étude comparative de douze collèges.
Cette expérience a aussi été l’occasion de m’insérer progressivement dans le laboratoire Cadis, Centre d’analyse et d’intervention sociologique, EHESS, auquel je suis rattaché en 1994 en intégrant le CNRS. J’y reste jusqu’en 2009, date à laquelle je change de statut pour devenir enseignant-chercheur à l’Université de Bordeaux. Pendant ces quinze années, j’ai l’occasion de travailler sur plusieurs projets et de m’engager plus ou moins directement avec de nombreux chercheurs, dont Bernard Francq, Didier Lapeyronnie, Danilo Martuccelli, Sylvaine Trinh et Michel Wieviorka, sans compter celles et ceux qui deviendront mes nouveaux collègues à Bordeaux,
Éric Macé, Joelle Perroton et Sandrine Rui.
En 2009, je change véritablement d’univers et surtout je découvre une activité que je ne connais pas vraiment, ou plutôt deux. La première c’est l’enseignant. Jusqu’alors j’avais un séminaire à l’EHESS, mais avec le recul je ne peux pas l’assimiler à un d’évaluation, pas de parcours. C’est beaucoup plus proche d’une conférence qui s’étalerait sur plusieurs séances. Autant, devenir chercheur au CNRS ne demande pas d’adaptation particulière, autant devenir enseignant est une épreuve plus déstabilisante. L’autre aspect concerne l’ensemble des activités administratives. C’est une face du travail laquelle j’étais très peu confronté au CNRS, qui est en réalité une institution très lointaine. L’université est, elle, physiquement présente et se matérialise par un ensemble de fonctions et de tâches, par une multiplicité d’instances qui font vivre la machine. Cet aspect est assez fascinant tant il organise le rythme et la vie quotidienne du travail des enseignants-chercheurs. Il a très souvent mauvaise presse, sert de refouloir et de bouc émissaire.
Ainsi, et pour conclure sur ce chapitre, je crois qu’on apprend à devenir chercheur, via les premières recherches auxquelles on participe. On continue à ne pas vraiment apprendre à devenir enseignant, sauf à penser que l’expérience des TD comme ATER ou vacataire en début de carrière est un apprentissage. On n’apprend pas du tout, et on ne le veut pas le plus souvent, à prendre en charge les fonctions administratives. En ce sens, le travail des enseignants-chercheurs à l’université n’est pas très différent de celui qu’on peut observer dans d’autres univers.
Peux-tu nous parler de ton quotidien d'enseignants-chercheur ?
Comme je l’ai déjà exprimé, le quotidien s’organise autour de trois grandes tâches qui parfois sont disjointes et souvent se télescopent. Formellement, l’ordre est : enseigner, conduire des enquêtes et les diffuser, et… Ce vide, c’est la gestion, l’administration, mais aussi l’engagement et la prise de responsabilités. Il constitue l’impensé du travail, la chose perturbant la représentation que l’on s’en fait a priori. Ce sont toutes les activités politico-administrativo-bureaucratiques. Elles occupent une place plus ou moins importantes selon les moments de notre parcours, de la semaine ou de la journée. Certaines, objectivement, sont excitantes, car elles donnent à voir le fonctionnement d’une organisation, ses rouages, ses points d’appui, de levier et de blocage. Bref, elles donnent accès à la machine. D’autres sont routinières et mécaniques, dévoilant le coté kafkaïens et un peu soviétique de l’institution. D’autres, enfin, sont chiantes, pénibles, n’ont pas grand sens, et nous désespèrent. Dans le quotidien, tout en réalité se mélange un peu. Il est rare qu’on l’on puisse avoir des journées où l’on ne fait qu’enseigner, ou que de la recherche. Beaucoup diront, qu’il est fréquent que l’on ne fasse que de la bureaucratie. Je suis plus nuancé.
"Cet aspect est assez fascinant tant il organise le rythme et la vie quotidienne du travail des enseignants-chercheurs.
Comment envisages-tu tes nouvelles fonctions de directeur adjoint du Centre mile Durkheim ?
Le laboratoire est dorénavant solidement installé grâce aux équipes de direction précédentes. Avec Sophie Duchesne, nous souhaitons à la fois assurer la continuité et faire en sorte que cela devienne encore plus un lieu d’échanges et de débats. Surtout nous avons à cœur de consolider et de renforcer l’équipe administrative. L’État traite mal son personnel et j’aimerais que des véritables
promotions statutaires soient accordées aux personnels administratifs. Il y a un vrai problème de reconnaissance du travail, des compétences et de l’investissement
Quels sont tes objets de recherche ? Sur quoi travailles-tu ?
J’ai d’abord réalisé des recherches sur l’école, en lien en particulier avec ce qui avait été ma thèse, en essayant de saisir le travail des établissements à la fois sur les performances des élèves et sur les éléments de socialisation. Puis, par lassitude je crois, et probablement par manque d’investissement, j’ai décidé de devenir grand et de quitter l’école pour m’intéresser au travail. Fondamentalement j’aime le travail, comme objet. Je garde une fascination pour les machines, la production, les gestes, et plus généralement la matière. Même si curieusement ce ne sont pas directement les objets, les lieux et les situations que je suis allé voir, puisque je me suis principalement tourné vers les techniciens et les
cadres. Il n’empêche que ma plus belle expérience a été de pouvoir être en délégation, pendant un an et demi, dans une grande entreprise fabriquant des moteurs d’avion et de pouvoir passer des heures à observer l’usine et les ateliers, dont le laminoir et la forge à Gennevilliers*. Du travail, ce qui m’intéresse c’est de comprendre le rôle et la place qu’il joue pour les individus. Je reste de ce point de vue dans une
approche extrêmement classique pensant qu’il forge
nos identités et que nous entretenons avec cet objet singulier un lien proche du rapport amoureux. Nous savons que l’amour fait mal, pour reprendre Eva Illouz, et pourtant nous ne cessons de désirer sa venue. Je crois qu’il en va de même avec le travail, c’est aussi pour cela qu’il est source de malentendu et de colère.
Sans formuler les choses sous cet angle, avec Andy Smith, nous nous intéressons à l’introduction des systèmes liés à l’intelligence artificielle dans le champ médical. Dit simplement, nous nous demandons en quoi l’introduction de ces nouvelles machines va modifier et transformer le travail des médecins et des structures qui vont les utiliser. Nous commençons, nous découvrons un nouvel univers, c’est passionnant. Par contre, j’éprouve une certaine frustration car ces machines restent invisibles.
Et en dehors de la recherche ?
J’appartiens à la petite noblesse d’État et donc à la petite bourgeoisie. C’est pourquoi je lis beaucoup de romans, je vais très souvent au cinéma, un peu moins au théâtre, j’écoute et je joue du jazz, j’aime le poisson, et je fréquente les musées… En revanche je ne fais pas de photo, surtout depuis le numérique où les gens prennent n’importe quoi, et je ne fais pas de sport, ça m’ennuie. Ainsi je suis conforme au portrait de Bourdieu, sauf que je le fais par plaisir et non pas dans l’espoir de franchir les grandes portes de la grande bourgeoisie. En ce sens je dois être un peu Neuneu.
*Voir la vidéo de Snecma, Forges et fonderies, site de Genneviliers ICI