Béatrices Jacques
Maîtresse de conférences en sociologie à l'Université de Bordeaux et chercheuse au Centre Émile Durkheim.
Quel est ton parcours et comment es-tu devenue enseignante-chercheuse ?
Après une licence de sociologie à l’Université Bordeaux Segalen, j’ai décidé de poursuivre en maîtrise et DEA puis de faire une thèse de doctorat sur l’expérience de la naissance sous la direction de François Dubet, pour laquelle j’ai reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire. Ce fut un long travail mais gratifiant puisque j’ai été recrutée en 2006 comme maîtresse de conférences au département de sociologie de l’Université de Bordeaux.
J’ignorais tout du métier de sociologue avant d’entreprendre ces études, même si un professeur de SES au lycée m’avait un peu initié à cette discipline pour laquelle j’avais déjà une appétence. Après ma soutenance de thèse (en 2005), j’ai intégré un projet de recherche (un programme hospitalier de recherche clinique dirigé par A. Monnereau, épidémiologiste à l’Institut Bergonié) qui m’a permis de travailler sur la question de l’observance en cancérologie, étude qui a fortement orienté mes travaux suivants.
Quels sont tes objets de recherche ? Sur quoi travailles-tu ?
J’ai de nombreux projets de recherche en cours. Je dirige trois projets, dont deux qui portent sur la démocratie en santé en cancérologie et le processus de professionnalisation des patients dits experts (financements SIRIC-BRIO et RNA). Ces deux recherches interrogent les notions de savoirs expérientiels, de compétences par l’expérience et d’injustices testimoniales et proposent une comparaison avec le Montreal Model. Une autre recherche en cours questionne les inégalités d’accès aux innovations thérapeutiques en cancérologie chez les personnes âgées (financements SIRIC-BRIO et RNA). Trois volets sont investigués, un premier qui cherche à appréhender quels sont les critères de décision des professionnels de santé pour exclure ou inclure une personne âgée dans un essai et ou favoriser son accès ou non à une thérapie innovante, un deuxième qui doit permettre de reconstruire les itinéraires thérapeutiques des patients pour déterminer leur niveau de participation à la décision thérapeutique et leurs propres représentations de l’accès des personnes âgées aux traitements innovants et un troisième qui étudie comment l’État et les autorités sanitaires (internationales, nationales et locales) pensent et mettent en œuvre les soins et l’accès aux innovations chez les patient.e.s âgé.e.s en oncologie. Je travaille sur ces trois recherches avec une chargée d’études (Agathe Ecotière) et deux post-doctorantes (Annick Tijou-Traoré et Marine Delaunay).
Je participe aussi à 3 projets dirigés par des collègues : un premier qui porte sur être "Parents après un cancer. Faire famille malgré la maladie grave"(financement INCa), dirigé par B. Derbez (MCF Paris 8), une autre étude qui propose "une approche comparatiste et transdisciplinaire des récits d’accouchements" (financement projets innovants université Sorbonne Nouvelle) portée par C. Danino, MCF en linguistique anglaise (Université Sorbonne Nouvelle) et enfin une recherche interventionnelle qui propose et évalue "les interventions de la Protection Maternelle et Infantile auprès des jeunes (filles et garçons) scolarisés en Maisons Familiales Rurales pour améliorer la couverture vaccinale du vaccin anti-papillomavirus" dirigé par P. Ingrand (épidémiologiste, INSERM, Université de Poitiers) (financement Ligue Nationale Contre le Cancer).
Peux-tu nous parler de ton quotidien d’enseignante-chercheuse ?
J’essaie d’organiser mon emploi du temps pour respecter 50 % du temps consacré à l’enseignement et 50 % du temps pour la recherche. Pour cela, je concentre mes cours (préparation, corrections des copies, réunions pédagogiques…) en début de semaine (quand c’est possible) pour pouvoir faire du terrain, lire, rédiger, organiser des réunions de travail, des comités de pilotage, intervenir dans des congrès le reste du temps. J’occupe aussi la responsabilité pédagogique de directrice des études pour laquelle je dois être disponible pour rencontrer des étudiants, échanger avec les services Phase, de santé, d’orientation. Depuis plusieurs années, j’occupe la direction (ou co-direction) de l’axe 4 SHS-Epidémiologie du Cancéropôle Grand Sud-Ouest et je participe au comité de pilotage scientifique. Nous avons en charge avec un manager, l’animation de la recherche (séminaires, journées annuelles) et la responsabilité d’un AAP Émergence pour notre axe. Cette activité prend fin en ce début d’année pour me permettre d’être plus engagée dans le projet du futur SIRIC-BRIO 3.
Depuis plusieurs années, je travaille aussi avec Pascal Ragouet sur un projet d’exposition avec le musée d’ethnographie de l’Université de Bordeaux*. L’idée est de médiatiser les résultats d’un certain nombre de nos travaux vers le grand public. Ce fut une expérience très chronophage mais enrichissante qui m’a permis d’envisager d’autres façons de diffuser les connaissances. Travailler par exemple avec un scénographe permet d’apprendre à exprimer une idée, un concept sous les formes d’une image, d’un jeu, d’un témoignage. L’exposition La fabrique des innovations. Les coulisses de la recherche en santé est presque terminée, la date d’inauguration est prévue le 22 janvier 2022, nous vous y attendons nombreuses et nombreux dès que les consignes sanitaires le permettront.
Quels sont tes projets pour l’avenir ?
Mes recherches en cours sur la professionnalisation des patients pourront je l’espère donner lieu à d’autres travaux. Je suis en train de mettre en place un atelier de méthodologie pluridisciplinaire sur les modes d’intégration des patients dans la recherche avec deux collègues de Nancy (S. Rossi et J. Kivits) qui, nous l’espérons, aboutira à un congrès international en 2022. Dans la perspective d’un renouvellement du SIRIC-BRIO, nous travaillons avec Pascal Ragouet, David Saint‑Marc, Bernard Stiegler, des patients‑partenaires et des collègues biologistes (INSERM) à la structuration d’un axe transversal sur la place des patients dans la recherche et les injustices épistémiques. J’ai aussi intégré d’autres groupes de travail (Severity et Vulnerability) qui construisent des programmes de recherche pour la prochaine labellisation du SIRIC.
Et en dehors de la recherche ?
J’aime lire surtout la littérature étrangère, écouter de la musique du monde, voyager. Quand se sera de nouveau possible, j’aimerai enfin pouvoir partir dans les îles anglo-normandes ou à Zanzibar…
"J’essaie d’organiser mon emploi du temps pour respecter 50 % du temps consacré à l’enseignement et 50 % du temps pour la recherche.