« Mon camion, c’est ma maison »
L’expérience d’un mode de vie alternatif et les remaniements identitaires de jeunes saisonniers nomades
sous la direction de Joël Zaffran
Résumé :
Vivre dans un camion aménagé est un phénomène qui ne cesse de se développer depuis la crise du COVID-19. Les individus, ayant été contraints de rester à leur domicile pendant une période prolongée, ont ressenti le besoin d’un accès illimité à la liberté en passant par le voyage. Ainsi, le phénomène de la «vanlife» a pris de l’ampleur et il n’est plus surprenant d’entendre dire que des individus ont fait le choix de prendre une année sabbatique pour faire un «roadtrip». Toutefois, les jeunes qui nous intéressent dans cette thèse sont bien loin des voyageurs «instagrameurs», des «digital nomades» ou des «teletravel». Ils ont fait le choix de vivre en «véhicule-habitation» pour pouvoir se déplacer au gré des emplois saisonniers agricoles qui s’offrent à eux. En effet, le nomadisme saisonnier agricole n’est pas un phénomène nouveau puisque l’agriculture a toujours eu besoin de son lot de salariés non réguliers. De fait, les salariés agricoles saisonniers constituent historiquement un groupe social défavorisé par la précarité de leurs contrats de travail et leur peu d’accès aux droits sociaux. Malgré les conditions de vie précaires induites par leur mode de vie, les jeunes que nous avons rencontrés ont exprimé avoir choisi de vivre ainsi dans une posture affirmée d’alternative sociétale. Cette posture nous a questionné sur les bénéfices réels et symboliques que ces jeunes pouvaient tirer de leur expérience nomade en acceptant une vie à la marge sans emploi ni habitat stable alors qu’ils sont dans un âge de la vie où ils sont censés trouver leur place dans la société. Par le biais d’une enquête ethnographique réalisée auprès de 58 saisonniers nomades stationnant dans plusieurs campements et squats sur le territoire du Médoc, cette investigation se centre sur la réalité de la vie quotidienne de ces jeunes et s’appuie également sur 33 entretiens biographiques pour replacer leur réalité de l’ici et maintenant en lien avec leur histoire.
Cette thèse se propose de montrer que le mode de vie nomade ne dépend pas uniquement d’une contrainte structurelle relevant de la précarité et liée à la discontinuité de l’emploi et au manque de logements de manière générale et de ceux alloués aux saisonniers agricoles nomades en particulier mais plutôt d’un choix, pour ces jeunes, d’adopter une culture alternative comme support identitaire. Une première partie de ce manuscrit est consacrée aux enjeux entourant la phase transitionnelle que représente la jeunesse en décrivant, au plus près, comment ces jeunes s’approprient la marge et la mobilité comme des espaces de socialisation. Dans un deuxième temps, notre recherche se propose de montrer comment les dynamiques symboliques et spatio-temporelles du nomadisme saisonnier ont un rôle existentiel fondamental pour ces jeunes dans la mesure où il s’y développe des logiques territoriales, des logiques d’appropriation, d’adaptation, d’ancrage et de création. La troisième partie se centre sur la singularité des parcours des jeunes saisonniers afin de mieux comprendre ce qui, dans leurs histoires de vie, a pu les conduire à opter pour un mode de vie alternatif, à s’y maintenir et à en sortir. Une dernière partie porte sur l’expérience des saisonniers nomades et leur intégration à la culture alternative comme processus de construction identitaire circulaire dans un contexte où l’on demande de plus en plus aux individus d’être autonomes et de pouvoir définir qui ils sont, plusieurs fois au cours de leur vie.